Qu’est-ce que la décarbonation?
Date: 12/13/2023

Développement durable
Par : Daniel Robert, ing

L’Accord de Paris de 2015 a changé la donne dans les efforts mondiaux de décarbonation. Son objectif à long terme étant de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, les parties prenantes doivent adopter des mesures concrètes plus vigoureuses.

Le secteur du bâtiment génère à lui seul 40 % des émissions mondiales de carbone. Sa décarbonation est donc cruciale si l’on veut respecter les engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris et des Objectifs de développement durable des Nations Unies. La décarbonation du parc immobilier répond non seulement aux défis environnementaux mondiaux, mais peut également réduire les frais d’exploitation, et préserver la santé et le bien-être des occupants.

Deux années sont dites charnières dans le processus de décarbonatation : à l’horizon de 2030, une réduction de 50 % des gaz à effet de serre (GES) doit être atteinte; en 2050, il faudra avoir atteint la carboneutralité.

Puisque 80 % des bâtiments d’aujourd’hui seront toujours debout en 2050, la décarbonation de l’immobilier existant est non seulement essentielle pour lutter contre les changements climatiques, mais elle offre également un moyen de réduire les coûts de gestion d’une propriété commerciale. L’environnement bâti a d’importantes répercussions sur le réchauffement de la planète. Nous avons le savoir-faire, la technologie et l’expérience pour réduire les GES, alors faisons-le.

Les investisseurs rééquilibrent leur portefeuille pour tenir compte de l’Accord de Paris et placent les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ainsi que les changements climatiques au cœur de leur stratégie d’investissement. Les propriétaires d’actifs de la Net Zero Asset Owner Alliance, représentant environ 5000 milliards de dollars d’actifs, se sont engagés à faire passer leur portefeuille d’investissement à zéro émission nette d’ici 2050. Dans le cadre de l’Action Climat 100+, plus de 500 investisseurs mondiaux disposant de plus de 47 000 milliards de dollars d’actifs invitent les entreprises dans lesquelles ils investissent à s’engager dans des stratégies commerciales carboneutres et à divulguer leurs risques liés au climat selon les recommandations du groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques. Pourquoi est-ce une bonne affaire? Parce que c’est à l’industrie de la mécanique du bâtiment d’en profiter, puisqu’elle fait partie de la solution!

Ce n’est pas uniquement l’aspect financier qui s’impose, mais aussi les attentes des employés, des clients et des locataires. Ceux-ci réclament davantage de bâtiments à faible empreinte environnementale. Plusieurs enquêtes menées à l’échelle mondiale auprès des milléniaux révèlent que les changements climatiques et la protection de l’environnement figurent parmi leurs principales préoccupations. En outre, une enquête indique que 74 % des clients demandent aux entreprises de s’approvisionner en électricité provenant de sources renouvelables.

Qu’est-ce qui freine la décarbonation dans le secteur immobilier?
L’injection de capitaux dans les technologies propres peut paraître difficile à justifier, surtout dans un contexte où les taux d’intérêt sont élevés, les taux d’occupation faibles et le marché immobilier incertain. Ainsi, de nombreux propriétaires suspendent leurs projets d’immobilisations, y compris ceux visant l’efficacité énergétique.

Travailler avec des conseillers qui comprennent les enjeux de la décarbonation, qui ont déjà réalisé plusieurs projets, qui savent profiter des généreuses subventions gouvernementales et qui se concentrent sur des projets déjà budgétés (principalement liés au maintien d’actifs) demeure la meilleure façon d’aller de l’avant. La nécessité de réduire l’empreinte carbone n’est pas une simple mode; le report de ces projets, dans l’espoir que la pression environnementale retombe, n’est donc pas la solution.

Comment un propriétaire peut-il naviguer dans les eaux inexplorées de l’incertitude de l’industrie et de la pression des investisseurs pour décarboner?
Dans un projet de renouvellement des actifs, prenez le temps de réfléchir aux besoins immédiats et surtout futurs du bâtiment plutôt que de simplement remplacer un équipement par un autre plus récent ayant à peu près les mêmes caractéristiques environnementales. Considérant les avantages globaux et les subventions qu’un propriétaire peut obtenir, de même que la valeur ajoutée et la capacité de louer ou de vendre l’actif à moyen et long terme, les coûts supplémentaires peuvent se justifier.

Existe-t-il des différences entre les provinces concernant les subventions et les résultats globaux des projets de décarbonation?
Il est actuellement très avantageux de démarrer un projet de décarbonation au Québec. Les subventions gouvernementales changent la donne financière, alors qu’en Ontario, il faut compter entre 10 et 12 ans, voire davantage, pour rentabiliser le capital investi, c’est la moitié moins au Québec.

Attention : les projets qui n’ont pour seul objectif la décarbonation ne permettent habituellement pas de dégager un rendement du capital investi. Les coûts d’implantation y sont importants et varient selon le type et la configuration des systèmes de chauffage, ventilation et climatisation (CVC) et des réseaux hydrauliques existants des bâtiments, d’où l’importance d’exécuter de tels travaux dans le cadre d’un renouvellement d’actifs.

La conception-construction peut-elle être considérée dans les projets de décarbonation?
Puisque la performance énergétique est au cœur d’un projet de décarbonation et que celui-ci nécessite une approche intégrée, la conception-construction (design-build) constitue la meilleure façon de le réaliser. Selon l’approche traditionnelle (plan et devis), les consultants conçoivent et les entrepreneurs construisent. Ainsi, le concept final est loin d’être optimal en matière de coûts d’installation et de fonctionnement. Pour bénéficier de tous les avantages et des subventions offertes, il est impératif qu’un modèle énergétique soit élaboré durant l’ingénierie préliminaire et qu’il soit utilisé pour orienter le choix des systèmes.

Quelle est l’urgence? Pourquoi maintenant?
Les objectifs de carboneutralité de villes comme Montréal, Québec et Toronto exigent que les propriétaires de résidences ou d’immeubles privés décarbonent leurs actifs d’ici 2040. C’est très ambitieux! Juste à Québec, Montréal, Ottawa et Toronto, il y a plus de 15 000 bâtiments commerciaux, à bureaux, industriels et résidentiels de plus de 5000 m². Tous devront subir une sorte de mise à niveau de leurs systèmes de CVC au cours des 17 prochaines années. Faites le calcul : il est question de près de 900 projets de modernisation par an… seulement dans l’est du Canada!

Il est clair que les besoins sont plus grands que les moyens de mise en œuvre. Les groupes qui s’attaqueront les premiers à la décarbonation auront une longueur d’avance, car ce seront eux qui obtiendront l’argent des investisseurs pour financer ou refinancer leurs actifs, et qui pourront le mieux négocier leur prix de revente.

Y a-t-il des groupes en train de décarboner leur portefeuille?
Déjà, de grands leaders de l’industrie comprennent la nécessité d’être pleinement engagés et l’avantage stratégique de se lancer dans le processus de décarbonatation le plus tôt possible. Très bientôt, les propriétaires prendront conscience du fait que la décarbonatation est une nécessité, pas une option. À ce moment-là, les listes d’attente seront très longues. En se préoccupant dès maintenant de la décarbonation, les propriétaires visionnaires stabilisent leurs investissements tout en assurant la pérennité de leurs loyers et en consolidant la valeur de leurs actifs. Pour eux, la décarbonation n’est plus considérée comme une obligation réglementaire ou une nécessité environnementale, mais comme une gestion des risques d’exploitation.

Est-il possible de simplifier la problématique de la décarbonation?
Le terme « décarbonation » et la panoplie de mesures qui en découlent sont très vagues. Cependant, si l’on ajoute les critères ESG à l’équation, il est possible de mobiliser de nombreux interlocuteurs et décideurs. Si la conversation évolue toutefois vers le carbone intrinsèque, elle pourrait devenir plus philosophique que pratique. Évitez ce piège et concentrez-vous sur les GES.

La plus grande réduction de GES d’un bâtiment passe par un changement de comportement de ses utilisateurs et la modernisation ou le remplacement des éléments mécaniques. Par exemple, si votre voiture a un vieux moteur V8, son remplacement par un moteur électrique et une conduite moins agressive représentent les meilleurs moyens de réduire votre empreinte. En comparaison, gonfler les pneus ou peindre la voiture en blanc aura très peu de répercussions. La décarbonatation est essentiellement une décision intelligente de renouvellement des actifs. Chaque propriétaire doit actualiser son budget d’investissement et planifier les améliorations mécaniques à mettre en œuvre au cours des prochaines années, car il s’agit d’occasions parfaites pour décarboner l’actif.

Quels sont les obstacles à la révolution de la décarbonation dans l’industrie?
La révolution est déjà commencée. Elle est menée par les grands fonds d’investissement et de retraite, les banques et les grands propriétaires fonciers. Chaque grande société immobilière s’est dotée d’un ambassadeur de la durabilité. La plupart ont confié le mandat à des groupes consultatifs de premier plan pour élaborer une feuille de route de décarbonation. Certains de nos clients ont déjà décarboné une grande partie de leur portefeuille ou ont réduit leurs émissions de GES, car ils ont compris la valeur ajoutée d’une telle démarche.

Malheureusement, l’harmonie ne règne pas entre l’équipe de développement durable et l’équipe des finances. L’une veut faire le bien aux yeux des grands investisseurs, l’autre veut leur offrir le rendement le plus élevé. Le conflit entre les impératifs environnementaux et financiers demeure l’un des principaux obstacles. Toutefois, les banques semblent s’adapter rapidement et imposent de plus en plus à leurs clients la mise en place d’améliorations structurelles et opérationnelles nécessaires pour protéger leurs investissements. L’année 2024 devrait marquer l’acceptation de la décarbonation par tous les acteurs du secteur immobilier, ce qui accéléra la révolution.

Soyez prêts, le changement cogne à nos portes!

À propos de Daniel Robert, ing
À titre de VP Sénior, Projets Spéciaux, l’ingénieur Daniel Robert supervise l’ingénierie des projets tout en dirigeant l’équipe des ventes de cette entreprise en mécanique du bâtiment, qui réalise de nombreux projets clés en main d’envergure à Montréal et à Toronto. Il est membre actif de l’ASHRAE et a agi en tant que Chair du CTTC (Comté de Transfert Technologique aux Chapitre) à la Société en 2022-2023. Il est membre du Comité Provincial d’Administration et président du Comité des Membres à la CMMTQ (Corporation des Maîtres Mécaniciens en Tuyauterie du Québec).

À propos de Krome

Krome propose des stratégies innovantes qui transforment les défis d’opération des bâtiments en projet rentable, écoresponsable et socialement accepté, pour tous les propriétaires d’immeubles proactifs.
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